

Comment te décrire ça...
C'est comme si tu avais un casque et que tu écoutais une musique à fond, tellement fort, ça te donne une impression étrange, presque une gène mais tu continues à t'imprégner de tout ton corps malgré le malaise...
Et puis soudain, tout se dilate sur quelque chose d’extrêmement planant... une sorte de pont aérien... ton esprit se met alors à flotter, le contraste est trop fort, tu ne touches plus terre, t'hallucines. Pour une fois, tu es bien. Tout simplement.
Un sacré paradoxe.
C'est ainsi que j'ai vécu le Japon.
Une douce claque culturelle.
Mars-Avril 2016
Méditation entre deux gratte-ciels

Zen
C'est la véritable force du Japon. Avoir réussi à créer des bulles d'apaisement sur une île tellement dense, tellement peuplée. Quand on prend le Shinkansen entre Tokyo et Osaka, et qu'on regarde par la fenêtre, on attend toujours le moment où la ville s'efface petit à petit pour laisser place à la campagne, à la nature. Mais entre ces deux villes, on attend toujours, et Osaka arrive avant la nature... Il faut imaginer des immeubles à perte de vue, infini. Seules les cimes des montagnes, trop escarpées, trop sacrées, sont vierges de toute civilisation. Alors on vit au rythme de cette vie urbaine étendue sur toute l'île, et tout le monde est en ordre de combat pour rendre cette vie... vivable... Tout est précis au millimètre et à la seconde. On ne peut se laisser déborder, sinon la petite île à la pointe de la modernité se transformerait en chaos digne des descriptions de Dante... Alors pour tenir la pression constante, les japonais ont dû se tourner vers autre chose. Vers un état psychologique au delà des apparences. L'art du Zen. C'est ce que l'on découvre à travers ces jardins dont les japonais sont des maîtres de composition. Ces endroits sont apparemment de simples lieux, mais après avoir traversé une ville comme Kyoto, ils prennent tout leur sens pour notre bien-être.
Une civilisation entière résiste grâce à ces petits espaces harmonieux en apaisant l'esprit.
Et pour nous simples voyageurs, c'est de l'émerveillement...






Après avoir pris un Shinkansen pour le Nord d'Osaka, on change de train pour un autre plus petit, en gare de Maibara je crois, les Alpes japonaises nous ouvrent les bras. Il fait beau sur ce quai, il est 14h, on décide de prendre une collation. On mange nos Bento en vitesse. Du riz, un morceau de viande et quelques légumes crus. On repart en direction de la côte Nord Ouest en longeant à distance la côte. La nuit tombe et la pluie fait son apparition, les nuages noirs assombrissent rapidement l'horizon, les lumières des villes traversées offrent d'uniques repères dans ces ténèbres grandissant... Et on arrive enfin à Kanazawa après une journée de voyage. Le matin on traînait dans des ruelles sur Miyajima, le soleil radieux, et le soir on s'effondre dans le noir complet, la pluie est devenue forte. On s'enfonce dans des boulevards immenses avec nos sacs lourds. Tenter de se repérer, dans ces villes moins touristiques, il n'y a plus de traductions des symboles japonais. C'est d'autant plus immersif.
Personne dans les rues, la pluie doit les faire fuir, de toute façon si on demande notre chemin, on aurait une chance sur mille de tomber sur quelqu'un pouvant causer en anglais. Alors on continue avec notre petit plan papier du guide, on cherche les rues, on découvre la ville.
Une ruelle à gauche, des vapeurs de fumées s'échappent des arrière boutiques et des bouches d'égout, au bout à droite, une rue se dessine et un lampion semble surgir de l'obscurité pour nous attirer et nous inviter à trouver refuge. On a finalement trouvé notre lieu pour la nuit...



A peine posé nos affaires, on ressort sous la pluie battante pour trouver un endroit pour nous sustenter. On nous a orienté vers un bar à sushi tout proche. On pousse la porte pour se retrouver dans un couloir de quelques mètres de large, un long comptoir. Il y a déjà du monde mais il reste de la place pour deux. En face de nous, une japonaise d'un certain âge nous sourit et nous invite à nous asseoir sur les tabourets, prendre commande... Elle a un sourire tout droit sorti d'un manga. Son mari s'occupe des sushis. Elle des commandes et du service du saké. D'ailleurs, on se retrouve avec deux verres de saké chaud. Avec cette pluie c'est une bénédiction. Des sushis, selon l'humeur du patron arrivent petit à petit avec les assiettes de gingembre. Le wasabi n'est pas servi à coté, il est directement dans les sushis. Il n'y a pas de touristes qui viennent par ici. Une alchimie prend forme alors, tout le monde est content de se voir, les japonais de voir des touristes et nous de voir des japonais! On ne se comprend pas mais on est heureux. Tout le monde trinque, une tournée de sushis arrive à nouveau et le temps passe paisiblement...
La clochette de la porte se met à sonner régulièrement, c'est la fin d'un round. Tout le monde s'en va progressivement et les places sont à nouveau prises par de nouveaux clients. On s'en va à notre tour. La tête légèrement inclinée sur le coté: Arigato gozaimasu!

C'est marrant de voir comment les mangas ont réussi à saisir une ambiance et une attitude typiquement japonaise...
Dehors, la pluie a cessé et surtout on a réussi à comprendre qu'il fallait aller voir le parc de Kanazawa ce soir. Alors on s'enfonce à nouveau dans ces rues devenues plus familières, et on trouve une direction en anglais. Après avoir monté une colline, on entre dans un parc, un grand jardin japonais. Pour la floraison des cerisiers, le parc est éclairé la nuit et ouvert tard. On déambule et on se laisse porter par la beauté des lieux. La nuit apporte du mystère et l’éclairage des arbres ne laisse apparaître que ces fleurs roses et blanches. Une pure merveille... Les lourds nuages traversent le ciel en reflétant la lueur orangée des néons de la ville, sans nous inonder de pluie, merci. Un château domine la colline, on en fait le tour, les cerisiers décorent la pierre parfaitement. Une harmonie.
Kanazawa fait partie de ces villes possédant un charme contre toute attente. Un havre de paix.




Choc de cultures (1/5)
Grâce à Fafat, on avait eu un contact avec un japonais qui aime la montagne. Il l'avait rencontré dans les Alpes Japonaises et ils s'étaient échangés leur contact... J'ai été mis en relation pour imaginer une rando au milieu du Japon. Ce gars, Souichirou, m'a proposé un parcours digne d'un guide pro sur deux jours. Un truc de dingue, on avait même reçu un PDF explicatif de toute l'organisation...Quand j'ai voulu comprendre le truc, il m'a juste dit "j'aime la montagne, ça me fait plaisir de vous guider et de profiter avec vous du week end." Ok. Banco. Une fois notre périple mieux ficelé, on a convenu d'un rendez vous à Takayama un samedi matin à 8h. On avait juste à attendre qu'il vienne avec sa voiture. Trop sympa le gars. Le jour J, il était là, à 8h du mat. On sympathise, on discute un peu et puis il fallait y aller, alors on part. Au bout de quelques minutes, on s'arrête à une supérette pour prendre tout le nécessaire de pique nique et eau pour les randos. Et là, drame. Sauf qu'on ne comprend rien. Il ne parle pas hyper bien anglais, autant que nous, et surtout il tient à nous répondre "ok" ou "yes" à tout ce qu'on demande. Bref on pige rien, mais il est emmerdé, il cherche quelque chose dans sa caisse pendant 10 bonnes minutes... Et au bout d'un moment, il craque, il nous dit qu'il doit repasser chez lui, il a perdu... ou oublié... on sait pas, on comprend rien... barrière de la langue... Mais bon on se regarde avec Elise, et on se dit qu'on peut l'accompagner chez lui, on récupère son truc et on trace direct dans la montagne!
On lui dit qu'on le suit de toute façon. Il a l'air un peu emmerdé. Mais il est content de nous emmener chez lui. Je me dit quand même il en fait un peu des caisses, c'est pas non plus la mort.
Choc de cultures (2/5)
On ne savait pas d'où il venait. Quand on a compris qu'on allait devoir faire 3h de route pour aller jusqu'à chez lui vers Nagoya, mon cerveau a bloqué. Il s'est levé à 4h du mat ce matin pour nous retrouver à Takayama à 8h. Et il était à l'heure... Bordel. Mais pourquoi il nous a proposé cet horaire?? On monte dans la voiture et nous voilà parti faire un voyage qui n'a aucun sens. Si on veut faire notre rando prévu dans le PDF, on a facilement 6h de retard sur le programme. Bien sûr plus rien ne colle, on se dit tant pis avec Elise, mais lui a l'air de cogiter à fond... Il lui faut une alternative à nous proposer. Oooooookaaaaaayyyyyy....
On arrive chez lui, petit appart dans le style Ikéa. Très européen sauf la chambre où l'on retrouve le futon au sol dans la pure tradition japonaise... Et soudain, il nous montre ce qu'il a oublié: sa carte bancaire. Mais merde! On aurait pu s'en passer! Pourquoi on n'a pas compris, pourquoi il ne nous a pas clairement dit ce qu'il avait oublié! 6h pour une pauvre carte bleue... je commence à vriller dans ma tête...
Il nous emmène déjeuner dans un fast food à sushi, moment marrant et sympa. C'est fou comme les codes occidentaux sont malgré tout respectés. Toute la modernité telle qu'on la connaît, mais avec une culture tellement différente.
On s'assoit à une table, un écran tactile nous permet de commander des sushis. On fait comme notre hôte et puis au bout de quelques minutes un mini shinkansen arrive sur le coté avec en guise de wagon, des assiettes contenant les différents sushis.
Choc de cultures (3/5)
On repart sur les routes, direction inconnue. Il nous parle d'une montagne sympa à faire. Il nous demande si on est équipé. on lui montre nos chaussures. On précise qu'on n'a pas de duvet très chaud ou de crampon pour nos chaussures. Il nous propose de faire quand même cette rando, de bivouaquer en haut et finir le lendemain sur un glacier. Il a l'air hyper sérieux, et nous assure qu'il a le matériel. Surtout, c'est soi-disant facile.
On se regarde avec Elise, maintenant qu'on est là... on se dit d'accord. C'est à ce moment là qu'on a fait une connerie. On a dit ok. Alors pour lui c'était fini, le destin scellé, impossible de revenir en arrière, il allait devoir tout faire pour nous emmener à plus de 3000 m au milieu du Japon. Tout cela se passe dans sa tête, on ne remarque rien évidemment. Les angoisses commencent...
Souichirou nous annonce qu'on se dirige vers une station de ski, on utilisera le télésiège pour monter sur un promontoire, poser la tente, et ce sera tout pour aujourd'hui. Je regarde ma montre: 16h. Il reste 2h de route minimum... Au fur et à mesure qu'on approche, le temps défile plus rapidement et notre guide commence à douter. Mais il est fort et reste stoïque. On arrive donc beaucoup trop tard à la station. Et puis deuxième surprise, il n'y a plus de neige depuis quelques jours, toute la station est fermée. What the fuck. Comment on peut être autant à l'arrache... Mais sans se démonter, il nous propose de commencer à monter en plein dans la pente, la nuit commence à tomber... Okay..........
On se retrouve les pieds dans la neige, nos chaussures ne sont pas assez imperméables... Avec Elise on lui propose de rejoindre une route sur le coté et de monter en lacet pour garder les pieds un maximum sec. Il accepte. J'ai l'impression que ce que l'on fait n'a plus aucun intérêt. La nuit est tombée. Souichirou s'arrête d'un coup au milieu de la route. Il nous regarde et nous annonce qu'on va monter la tente. Ici. Là. Sur la route. En pente. Alors ok, la route est bloquée mais j'ai toujours eu du mal à planter des piquets dans du bitume...
Choc de cultures (4/5)
On l'a fait, on a dormi sur notre route. On a chauffé du saké et mangé des spaghettis à la carbonara... des milliers de kilomètres pour se retrouver à manger des spaghettis à la carbonara en boîte...
Le ciel est magnifique avec la nuit, les étoiles brillent, on commence malgré tout à se comprendre avec Souichirou. Cette soirée nous permet de sympathiser. Et puis on est pas si mal sur cette route de montagne. Le sol est sec et c'est déjà beaucoup!
Le lendemain, réveil aux aurores, on se lance vers le sommet. La suite c'est la même histoire. Pour Souichirou, il s'est engagé alors il fait tout pour qu'on arrive au sommet. Pour nous, ça n'a aucun sens, on est mal équipé. Arrivés au pied du glacier, il reste peut être 200 mètres de dénivelé. Je le vois se lancer et je comprend alors qu'il ira jusqu'au bout si on ne dit rien, je comprend vraiment à ce moment ce qu'est un engagement dans la culture japonaise. Alors je l'appel, je lui dit qu'on ne va pas continuer, que cela devient dangereux, on n'est pas bien équipé, soyons raisonnables.
Son visage se détend alors instantanément, il me sourit et me dit: "tu as raison, c'est dangereux, il vaut mieux rentrer". Il n'attendait que ça en vérité depuis la veille. Qu'on lui dise "non Souichirou, ça me semble merdique, c'est pas grave, on fera autre chose". Je crois que pour lui, il se devait de nous proposer quelque chose de grandiose quelque soient les moyens, pour montrer qu'il pouvait nous emmener n'importe où, surtout après avoir merdé sur sa carte bancaire et annulé tout le programme prévu sur le PDF. Et nous, nous devions servir de raison et le remercier poliment en proposant quelque chose de "moins bien". Il garde la face, on sécurise le projet. Il a fallu monter à plus de 2500 m d'altitude pour arriver à comprendre cette culture. La leçon était rude mais belle. Et la montagne aussi.
Choc de cultures (5/5)
La suite? Souichirou nous a emmené dans un Onsen, son préféré, et puis il nous a ramené à Takayama. Ça s'arrête comme ça. Une parenthèse étrange mais tellement riche dans notre périple. Dans les trucs que je ne comprendrais jamais, resteront ceux là: il aura fait plus 12h de voiture dans le week end, pour des gars qu'il ne connaît pas. Il aura bu 50cl d'eau en tout pendant 24h. Pour de vrai. Et pleins d'autres détails qui font que l'on a un peu plus approché cette culture. L'impression d'avoir touché une substance, l'essence d'une civilisation, ses principes et traditions les plus ancrés. Une expérience inédite autant pour nous que pour lui. Sur facebook, il raconte le début de ce récit, et lui aussi nous comprend pas vraiment. "Pourquoi venir au Japon faire de la montagne, alors que c'est la période des cerisiers en fleurs et qu'ils vivent dans les Alpes le reste de l'année?"
Oui c'est vrai, pourquoi?
